Avec le digital, faisons du Luxembourg une Smart Nation

L’automne dernier, le gouvernement a fait part de sa stratégie Digital Lëtzebuerg. Elle vise la transformation du pays, à la faveur d’une société et d’une économie s’appuyant mieux sur les opportunités offertes par l’intelligence numérique et les nouvelles technologies. Le Premier ministre, Xavier Bettel, et Anne-Catherine Ries, coordinatrice de Digital Lëtzebuerg, évoquent les enjeux de cette initiative.

February 26, 2015

L’automne dernier, le gouvernement a fait part de sa stratégie Digital Lëtzebuerg. Elle vise la transformation du pays, à la faveur d’une société et d’une économie s’appuyant mieux sur les opportunités offertes par l’intelligence numérique et les nouvelles technologies. Le Premier ministre, Xavier Bettel, et Anne-Catherine Ries, coordinatrice de Digital Lëtzebuerg, évoquent les enjeux de cette initiative.

Par Sébastien Lambotte.

Pouvez-vous nous résumer les grandes lignes et les enjeux de la stratégie Digital Lëtzebuerg ?

Xavier Bettel: Depuis une quinzaine d’années, le Luxembourg bénéficie d’un coup d’accélérateur important dans le domaine ICT. Cela se traduit par des développements importants dans le secteur du commerce électronique, des contenus numériques, du cloud computing, du Big Data ou encore des paiements électroniques. Beaucoup d’efforts et d’investissements ont été consentis au niveau des grandes infrastructures de communication, permettant d’établir les fondements nécessaires d’un pays qui se veut à la pointe de l’ICT. Pour renforcer et consolider à terme la position du Luxembourg dans le domaine des nouvelles technologies, il faut maintenant travailler davantage sur les services et applications concrètes que le digital permet de développer, pour le bénéfice des entreprises et des citoyens.

Quels objectifs poursuit la stratégie Digital Lëtzebuerg ?

Xavier Bettel: L’initiative Digital Lëtzebuerg a tout d’abord pour objectif d’afficher une volonté politique. Celle de développer un secteur croissant de notre économie, mais également de mettre à profit les opportunités qui peuvent découler des nouvelles technologies au niveau de toutes les dimensions socio-économiques constituantes du pays. Elle vise à l’établissement d’une dynamique générale de modernisation du pays au moyen des nouvelles technologies. Il s’agit plus concrètement d’identifier les défis spécifiques posés par la société numérique ainsi que les questions qu’elle soulève, afin de se donner les moyens de les adresser de manière transversale, en sortant de nos cloisons et de nos spécialisations traditionnelles. Notre mission, en fin de compte, est de faire du Luxembourg une Smart Nation, de donner un visage résolument nouveau à ce pays, où il fait bon vivre et travailler.

Que représente aujourd’hui le secteur ICT dans l’économie du pays ?

Anne-Catherine Ries: Selon ICTLuxembourg, le secteur représenterait 6,6% du PIB et compterait 15.500 employés au Luxembourg. A travers Digital Lëtzebuerg, toutefois, nous envisageons le digital bien au-delà du secteur ICT. Les TICs ne doivent plus uniquement constituer un « secteur » en tant que tel, mais bien un vecteur transversal d’efficience et d’innovation pour tous les aspects socio-économiques. Tous doivent profiter des opportunités offertes par le digital, que ce soit le secteur financier, la logistique, les biotechs, les écotechs, l’industrie traditionnelle et les industries créatives. Le digital doit permettre une amélioration de la dissémination du savoir, des systèmes de santé, ou encore une optimisation des services aux citoyens,…

Pouvez-vous partager votre vision de la Smart Nation que vous espérez voir naître? A quoi doit ressembler ce Luxembourg digital dans 10 ou 15 ans ?

Xavier Bettel: Le Luxembourg a toujours été une Smart Nation, au sens premier du terme. Il a su se transformer après la crise sidérurgique et développer une activité bancaire et financière qui rayonne à l’échelle mondiale. Il a su révolutionner le paysage de la radio, de l’audiovisuel et des télécommunications, notamment à travers deux de ses acteurs : RTL, d’abord, puis, dans une toute autre mesure, SES et les satellites ASTRA.
Le numérique rime aujourd’hui avec « virtuel », « dématérialisé ». L’enjeu, pour le Luxembourg de demain, est de pouvoir placer l’intelligence portée par les nouvelles technologies au service d’un monde physique, réel, très concret.

Pouvez-vous nous illustrer cette vision par des exemples ?

Xavier Bettel: Au niveau environnemental, par exemple, de nombreux progrès sont à notre portée. On peut évoquer une gestion plus intelligente de nos ressources en énergie, tant à l’échelle de la maison personnelle qu’au niveau des villes. On pense à des luminaires dont l’intensité varie en fonction des conditions extérieures, à un chauffage qui s’allume à la maison lorsque le GPS de la voiture lui indique que vous allez bientôt arriver chez vous, à un réseau d’énergie plus efficient… Le numérique a aussi un impact sur la manière dont les gens veulent vivre en société. Au cœur du phénomène de mondialisation, les citoyens semblent exprimer un besoin de se reconnecter, de relations de proximité, humaines et ancrées dans leur environnement. Ainsi, des phénomènes comme le crowdfunding, les assurances peer to peer, mais aussi l’économie du partage – de la voiture, à la perceuse en passant par l’appartement…. – illustrent la manière dont les citoyens que nous sommes entendent être en plus en phase avec des aspirations et besoins profonds. Il ne faut pas oublier la dimension liée au bien-être et la santé. La société aspire aussi à une démocratie plus participative, à pouvoir s’exprimer, à être écouté. Le digital, donc, peut nous aider à mieux répondre à ces aspirations. Un Smart Luxembourg aura pour mission d’utiliser les nouvelles technologies, non pas pour qu’elles dominent l’homme, mais pour remettre l’homme, le citoyen, ainsi que ses besoins, au cœur de ses préoccupations.

La transformation digitale, l’émergence de Smart Cities ou de la Smart Nation, exige de de réfléchir de manière transversale à tous les étages. Comment bien appréhender cette notion de transversalité ?

Xavier Bettel: Penser de manière plus transversale est aujourd’hui devenue une nécessité. L’initiative Digital Lëtzebuerg n’a pas vocation à s’occuper de tout, à régler tout. Beaucoup de démarches voient le jour en la matière et n’ont d’ailleurs pas attendu le lancement de cette initiative pour être lancées. Pour nous, il s’agit d’afficher une ambition, un projet commun, en rassemblant et mobilisant les forces vives autour de ce projet. Nous voulons utiliser cet objectif pour avancer sur des sujets qui risquent de stagner si nous ne travaillons pas de manière transversale. Au niveau des administrations, il faut répondre à des enjeux qui souvent vont au-delà des responsabilités verticales comme elles sont aujourd’hui définies. Il existe des sujets transversaux qui sont régulièrement soulevés, mais qui ne tombent pas nécessairement sous la compétence d’un ministre spécifique. Dès lors, ils ne sont pas adressés comme ils le devraient. Il en va de même pour le secteur privé et pour nos niches futures de compétences. Il s’agit de tenter de trouver, à l’intersection de nos points forts, de nouvelles opportunités économiques. Il faut penser FinTech, BioTech ou autre. L’idée, c’est de décloisonner les spécialisations, pour saisir de nouvelles opportunités.

Comment, concrètement, va se mettre en œuvre la stratégie que vous avez présentée ?

Anne-Catherine Ries: Il s’agit actuellement de cartographier les différentes initiatives existantes, tant privées que publiques, de rassembler toutes les pièces d’un même puzzle de modernisation du pays, de les faire émerger à la surface, afin de pouvoir développer des synergies éventuelles. Il nous appartient d’identifier les chantiers orphelins qui doivent encore être attribués à un maître d’ouvrage. Ces dossiers seront ensuite traités dans les différents groupes de travail.

Quels en seront les axes prioritaires ?

Anne-Catherine Ries: Parmi les axes prioritaires déjà identifiés figurent le développement des infrastructures de télécommunications. C’est la condition sine qua non au développement d’un Luxembourg digital. Il y a aussi le soutien à l’innovation et l’accès au financement pour les start-ups, l’innovation dans les services au secteur financier (FinTech), le développement des compétences numériques (e-skills), la mise en œuvre d’une administration électronique et l’open data. A cela s’ajoute la promotion des atouts du Luxembourg à l’étranger. Mais cela n’empêche pas que des thématiques plus ponctuelles soient adressées en parallèle.

Quelles sont les attentes en termes de résultat et de timing ?

Xavier Bettel: Il faut voir Digital Lëtzebuerg comme un processus en cours depuis des années et que nous voulons désormais accélérer. Il s’agit d’un projet à long terme. Toutefois, des points d’action et des résultats concrets seront attendus tout au long du processus et seront communiqués régulièrement.

Quels sont les moyens affectés à la mise en œuvre de cette stratégie Digital Lëtzebuerg ?

Anne-Catherine Ries: Un budget de 1 million d’euro a été proposé pour la phase de démarrage de Digital Lëtzebuerg. Cette somme s’ajoute aux budgets substantiels déjà prévus au sein des différentes administrations. Mais Digital Lëtzebuerg ne se limite pas à mettre en œuvre des projets qui requièrent nécessairement des budgets. Digital Lëtzebuerg doit aussi, par exemple, identifier les modifications législatives qui sont nécessaires pour s’adapter à la société dématérialisée ou encore trouver des niches de compétences nouvelles.

L’état, dans ce contexte, doit montrer l’exemple. Au niveau de la fonction publique, quels seront les premiers chantiers mis en œuvre ?

Xavier Bettel: La simplification administrative et l’administration électronique représentent un volet très important de Digital Lëtzebuerg. Le « ebudget », donc la présentation électronique du budget, en est déjà un exemple concret, tout comme le site web www.vosidees.lu ou le ePortfolio. La carte d’identité électronique ouvrira beaucoup de nouvelles possibilités. Et de gros chantiers sont en cours au niveau des contributions, de la justice, de la santé,…

Comment espérez-vous impliquer les acteurs économiques ?

Xavier Bettel: Digital Lëtzebuerg n’est pas qu’une stratégie top down imposée par le Gouvernement, mais elle vise la création d’un mouvement général de modernisation sur base d’un effort collectif. Je constate que beaucoup d’acteurs ont d’ores et déjà exprimé leur envie de s’associer à l’initiative. Je me réjouis de cet engagement !

Comment financer l’émergence de nouveaux acteurs, quand on sait aujourd’hui que dans l’éco-système start-up au Luxembourg c’est principalement au niveau de l’accès au financement que cela coince?

Anne-Catherine Ries: Un groupe de travail se penche actuellement sur l’efficacité et l’adéquation des aides publiques aux start-ups innovantes, et sur les moyens d’augmenter les financements disponibles pour les start-ups, notamment aux toutes premières étapes de la vie d’entreprise.

Quels seront les besoins en compétences ?

Xavier Bettel: Les compétences sont en effet LE facteur décisif du développement d’un secteur. Les entreprises vont là où elles peuvent trouver les talents ! Il sera nécessaire de travailler sur deux fronts en même temps. Tout d’abord nous devons améliorer les compétences digitales de la main d’œuvre luxembourgeoise à travers une série d’initiatives : la sensibilisation aux métiers ICT à la Foire de l’Etudiant, l’encouragement de l’utilisation des nouvelles technologies dès le plus jeune âge, l’amélioration de l’offre de formation continue et de reconversion professionnelle, ainsi que le cadre de stages. Ceci reste toutefois un travail de longue haleine. À court terme, afin de pallier aux besoins pressants de recrutements de notre industrie, il est impératif d’œuvrer à améliorer l’attractivité du Grand-Duché pour la main d’œuvre qualifiée externe. Pour cela un effort transversal est requis. Cela implique de travailler sur des sujets aussi divers que la revue du cadre migratoire et fiscal pour les expatriés, le nation branding ou la qualité des infrastructures de transport/logement/culture/scolaires qui font du Luxembourg un pays où il fait bon vivre.

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