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FinTech : « Des choses exceptionnelles se font depuis le Luxembourg »

Nasir Zubairi évoque avec EBRC les opportunités à saisir et les challenges à relever pour faire du Grand-Duché un hub FinTech international efficient.

September 11, 2017

Nasir Zubairi, CEO de la Luxembourg House of Financial Technology

Nasir Zubairi, CEO de la Luxembourg House of Financial Technology (LHoFT), évoque avec EBRC les opportunités à saisir et les challenges à relever pour faire du Grand-Duché un hub FinTech international efficient.

Nasir, vous êtes au Luxembourg depuis plusieurs mois. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué en découvrant ce pays ?

La première fois que je suis venu au Luxembourg, c’était en 2015. J’avais été invité à prendre la parole à l’occasion de l’ICT Spring. De Luxembourg, j’ai principalement vu mon hôtel et le centre de conférences. Mais, à l’époque, j’avais déjà été marqué par l’attitude des personnes que j’ai eu l’occasion de rencontrer et qui, à mon sens, est assez unique. Directement, j’ai compris en quoi Luxembourg pouvait être une superbe place pour développer du business, car des choses incroyables peuvent être faites ici. Simplement parce que les acteurs locaux, plus que de vouloir faire prospérer leur propre business, ont la volonté et la capacité de collaborer pour faire quelque chose de grand pour le pays tout entier. Je n’ai jamais connu cela ailleurs. C’est sans aucun doute ce qui permet d’expliquer comment un pays de 500.000 habitants est parvenu à se hisser, en une vingtaine d’années, à la deuxième place mondiale des centres de fonds d’investissement. C’est ce qui explique que dans de nombreux domaines, le Luxembourg accomplit des choses remarquables. Cela n’est possible qu’avec les gens qui portent le business et, ici, l’ensemble de l’économie nationale.

En quoi cette communauté est une opportunité de faire du Luxembourg un FinTech hub qui compte ?

Pour y parvenir, nous devons pouvoir nous appuyer sur l’engagement d’une communauté. Ce sont ces gens, présents ici, tous engagés dans une même direction, qui nous permettent de faire des choses incroyables. Je suis toujours impressionné par la facilité à rassembler les acteurs autour de la table, par l’engagement et la disponibilité des CEO au cœur des actions menées en commun. J’ai vécu dans les plus grands centres financiers du monde, à Londres, New-York,  Tokyo et Singapour. Je n’ai jamais ressenti un esprit de communauté comme celui qui prévaut au Luxembourg. Il y a une réelle volonté de faire de grandes choses ensemble. A Londres ou à New-York, les gens travaillent pour leurs intérêts, pas pour la Grande-Bretagne ou pour la place financière new-yorkaise dans son ensemble. Il y a une grande ouverture d’esprit parmi les chefs d’entreprises et dirigeants ici au Luxembourg ainsi qu’une grande humilité et une vraie volonté d’apprendre et d’aller de l’avant. Cette volonté d’apprendre, dans un monde en pleine évolution, est essentielle pour la réussite de ce que nous avons à accomplir.

Le Luxembourg avait la réputation d’être relativement conservateur. Comment les choses évoluent-elles à vos yeux ?

Tout change. Historiquement, les services financiers à travers le monde se sont développés en recrutant les esprits les plus brillants. Les banques recrutaient les meilleurs étudiants dans les plus prestigieuses universités. Ce n’est désormais plus le cas. Ces esprits brillants se tournent désormais vers Google, PayPal ou Amazon. Les banques n’attirent plus. Et elles ont mis plus de temps que d’autres acteurs à s’adapter, à cause d’une culture forte en leur sein. Les acteurs bancaires pensent savoir ce qu’ils ont à faire, comment le faire… Ils pensent tout connaître. Mais ils se trompent. Il faut pouvoir faire preuve d’humilité, poser des questions, se remettre en question et, surtout, vouloir apprendre. Personnellement, j’ai 42 ans et j’apprends quelque chose de nouveau tous les jours. C’est avec cette volonté d’apprendre que le Luxembourg pourra progresser, innover, faire des grandes choses en mobilisant l’ensemble de ses acteurs.

Lors de votre entrée en fonction, le discours que vous teniez insistait sur l’importance de lutter contre la peur du changement. Aujourd’hui, face aux risques et opportunités liés à la transformation digitale de l’économie, les acteurs de la finance sont-ils plus ouverts ?

Je pense qu’il y a toujours de la peur. Mais, depuis un an, l’état d’esprit des dirigeants a fortement évolué. L’été dernier, une idée revenait régulièrement dans les discours des acteurs de la gestion et de la distribution des fonds. Beaucoup, par exemple, disaient ne pas avoir de poids depuis le Luxembourg. Que la place n’était qu’un centre opérationnel, que les décisions étaient prises ailleurs dans le monde. De mon point de vue, ce discours constituait une excuse face, justement, à cette peur du changement. Mais les choses ont évolué depuis lors. Les projets initiés récemment attestent de la capacité des équipes basées au Luxembourg à faire entendre leurs voix au sein de ces initiatives de groupes/actions de groupes. Une communauté luxembourgeoise incroyable se révèle. Je la côtoie au quotidien. Elle s’exprime avec enthousiasme, autour des initiatives mises en œuvre par l’Etat, comme celle du LHoFT, sur les réseaux sociaux. Je pense, au regard des marques de soutien que je reçois, que je n’ai jamais été aussi populaire de ma vie (rires).

Quels objectifs doit-on poursuivre dans le domaine des services financiers, en capitalisant sur cette communauté ?

L’objectif est de créer un réel centre international de la FinTech, ici, au Luxembourg. L’objectif n’est certainement pas d’être le plus grand, ou le numéro 1. Car, fondamentalement, cela n’apporte pas grand-chose d’être premier. Bien sûr, si on l’est, tant mieux. Mais, l’idée est de concrétiser des projets, de permettre à de nouveaux services de voir le jour depuis Luxembourg. Agir plutôt que dire. Et en la matière, à Luxembourg tout est possible. Des choses incroyables se concrétisent déjà.

Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Avec la volonté de mettre la blockchain au service de l’industrie des fonds d’investissement, nous avons des solutions qui sont dès aujourd’hui opérationnelles et qui ont été créées au Luxembourg. La plateforme FundsDLT, qui permet de procéder avec une plus grande efficacité et à moindre coût à des investissements dans des fonds d’investissement, est un bon exemple. Grâce à cette plateforme, des transactions ont été opérées en s’appuyant sur la blockchain. C’est une première. D’autres, dans le monde, ont essayé de faire des choses similaires, avec sans doute plus de moyens, en mobilisant des armées de consultants, sans pour autant y parvenir. Le fait est que, au Luxembourg, nous l’avons fait, avec pragmatisme et efficacité, posément, mais efficacement. On doit être fier de cela, et pouvoir le valoriser. A ce niveau, la LHoFT doit jouer son rôle et être le porte-voix de ces initiatives. Je trouve que, de manière générale, le Luxembourg ne fait pas suffisamment valoir ses réalisations pourtant exceptionnelles. Dans le monde, on ne sait pas que Luxembourg est leader dans le domaine des satellites avec SES. Trop peu de gens savent que le groupe média RTL a pour origine le Luxembourg. Ici, on fait des choses incroyables. Il faut le faire savoir.

Quelles sont à vos yeux les grandes opportunités dont le Luxembourg doit profiter?

Cette capacité de faire de grandes choses doit permettre d’attirer d’autres acteurs au Luxembourg, les inviter à profiter de cet environnement exceptionnel. Cette attractivité est réelle. On la voit à travers le Brexit, qui constitue une énorme opportunité pour le Luxembourg. D’après une étude réalisée par KPMG sur les annonces d’acteurs londoniens ayant choisi de relocaliser leur activité afin de s’assurer l’accès au marché unique, le Luxembourg compte le plus grand nombre de suffrages. Alors que 21 acteurs ont affiché leur préférence pour le Luxembourg, 14 privilégient Dublin, 8 l’Allemagne et 4 la France. Les gens choisissent Luxembourg ! Le mouvement va se poursuivre. A plus long terme, le Brexit constitue une autre opportunité pour le Luxembourg. Des start-up internationales, aux US, en Asie, au Moyen Orient, sont amenées à cibler le marché européen, l’un des plus attractifs au monde. Or, avec le Brexit, Londres n’appartient désormais plus à l’Union européenne. C’est aussi simple que cela. Et Luxembourg a une carte à jouer pour attirer ces acteurs innovants.

Quels sont les atouts du Luxembourg ?

Au Luxembourg, on peut faire du business en anglais. Il ne faut pas parler néerlandais, allemand ou français pour se faire comprendre du régulateur, ou pour établir des contrats. Ici, tout peut se faire en anglais, comme à Dublin d’ailleurs. Cela peut apparaître comme un détail par rapport à des enjeux d’infrastructure ou de bonne connectivité, mais en réalité c’est capital. Les gens savent que l’on a de bonnes compétences, des infrastructures de qualité, ici comme ailleurs. Par contre, être sûr de pouvoir facilement travailler au jour le jour en anglais constitue un élément différenciant important.

On a parlé de l’importance d’attirer des start-up. L’autre challenge réside dans la transformation des acteurs établis de la finance. Comment appréhendez-vous ce défi ?

Même dans les grandes firmes, la culture change. Il suffit de constater la manière dont elles développent des projets innovants. Rien qu’au niveau du LHoFT, nous pouvons compter sur 13 partenaires, institutions majeures de la place, engagées à nos côtés. Cela démontre un réel désir de changer. Cela se traduit dans des collaborations avec des start-up ou dans le développement de projets innovants en interne. A ce niveau, peut-être que le Luxembourg a un certain retard par rapport à d’autres places financières, mais les choses bougent vite. La volonté de changer est désormais bien là. Et le Luxembourg, pays très agile, peut se transformer plus rapidement que d’autres. Bien qu’il y ait encore quelques barrières à faire tomber.

D’importantes barrières réglementaires tombent, notamment en matière de localisation des données financières des acteurs établis au Luxembourg. Quel regard portez-vous sur ces réformes ?

Elles démontrent que les choses peuvent bouger très rapidement ici. Je vois ces mesures avec un œil très positif. Les start-up sont un élément essentiel de l’écosystème FinTech que nous voulons développer au Luxembourg. Or, toutes les start-up ont recours à des services cloud. La réglementation qui était en vigueur jusqu’alors les obligeait à recourir à des systèmes hébergés au Luxembourg. Dans les négociations, pour convaincre les sociétés à rejoindre le Luxembourg, c’était un frein important. Je vois donc un changement très positif pour le Luxembourg dans ces réformes. Et beaucoup d’acteurs PSF de support, comme EBRC, dont le business va être impacté par ces transformations, adoptent la bonne attitude vis-à-vis de ces changements. Au-delà des risques, ils voient les opportunités. Ils ont choisi d’adapter leur stratégie, pour aller de l’avant, pour construire ce hub FinTech.

Dans cet environnement, quels sont les atouts des prestataires de services IT luxembourgeois ?

Ils sont nombreux. L’agrément de PSF de Support, par exemple, est un atout important. Pour les start-up, il constitue un gage de crédibilité quand vient le moment de convaincre des acteurs financiers dans une logique B2B. Quand elle choisit de mener des chantiers de transformation impliquant des start-up, une banque a besoin de garanties. Une institution financière doit s’assurer que son partenaire pourra l’accompagner dans le temps, qu’il est suffisamment robuste. En développant des partenariats avec les PSF de Support, qui répondent à des exigences spécifiques sur les standards technologiques et qui sont tenus de réaliser des due diligence, il est plus facile de rassurer l’institution financière. Or, il n’y a pas d’équivalent au PSF de Support ailleurs en Europe. C’est en tout cas un des moyens à la disposition des start-up pour assurer leur crédibilité.

Que pensez-vous de l’infrastructure informatique luxembourgeoise ?

Elle est exceptionnelle. Le Luxembourg est le seul pays à compter 7 Data Centres Tier IV, dont trois appartiennent à EBRC. Londres en compte un seul, tout comme Francfort. Paris n’en a aucun. C’est en s’appuyant sur cette infrastructure et un pragmatisme unique, que Luxembourg a pu devenir un centre financier parmi les plus importants au monde ainsi qu’un centre d’excellence dans le domaine de l’hébergement des données. J’ai découvert que des acteurs du gaming, comme Valve, qui sont encore plus dépendants de la technologie que les services financiers, avaient aussi choisi le Luxembourg pour servir le marché européen. J’en suis très impressionné. Des acteurs du gaming peuvent être amenés à connecter 30 millions d’utilisateurs simultanément et à leur garantir une expérience de haute qualité. C’est, à mes yeux, un argument marketing qu’il faut mettre en avant pour valoriser cette expertise technologique. Cette expertise, évidemment peut servir à convaincre les acteurs des services financiers. Cependant, je pense que si la technologie est nécessaire, et doit s’appuyer sur des infrastructures de haute qualité, la technique n’est pas le principal enjeu des services financiers. La technologie est secondaire, elle passe après le marketing. Aujourd’hui, avec les différents acteurs impliqués comme EBRC, un des principaux défis reste de mieux vendre le Luxembourg. En la matière, je pense que l’on peut faire mieux.

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