TRANSFORMATION & ORGANISATION

Des milliers d’emplois IT menacés par un projet de loi

Au Luxembourg, un projet de loi assouplissant les conditions d’externalisation du traitement des données des acteurs financiers fait craindre le pire pour le secteur ICT.

November 17, 2016

luxembourg-1489717_1920Au Luxembourg, un projet de loi assouplissant les conditions d’externalisation du traitement des données des acteurs financiers fait craindre le pire pour le secteur ICT. Selon certaines estimations, 5000 emplois pourraient disparaître. Et les ambitions digitales du pays seraient tuées dans l’œuf.

En coulisse, on évoque déjà un drame pour le développement du secteur IT au Luxembourg. Un projet de loi – numéroté 7024 –, portant modification de la législation relative au secteur financier, fait craindre le pire parmi les représentants des acteurs du digital. C’est tout particulièrement l’article 41 de ce projet de loi, relatif à l’obligation du secret professionnel, qui fait parler de lui… Ce projet de loi assouplirait notamment le cadre dans lequel des données confidentielles pourront être échangées à l’international.

Crainte d’une dérégulation radicale

Aujourd’hui, l’externalisation du traitement des données des acteurs financiers, au Luxembourg, est soumise à un cadre strict, sous supervision de la CSSF. Ce cadre a notamment permis l’émergence de nombreuses activités, portées par les PSF de support. Bien sûr, la technologie désormais disponible permet des effets de mutualisation des opérations de l’IT des groupes financiers à l’échelle internationale. Et bien évidemment, le Grand-Duché, avec sa législation pointilleuse sur les enjeux de confidentialité, subit des pressions des groupes internationaux pour un assouplissement des règles en la matière. Si les représentants des acteurs de l’IT en sont conscients, ils s’opposent à une dérégulation radicale.

Abandon pur et simple du secret professionnel

Mais de quoi parle-t-on ? Selon l’association Finance & Technology Luxembourg, qui a émis un avis circonstancié sur le projet de loi dont nous avons pu prendre connaissance, « dans sa forme actuelle, le texte constitue un transfert de l’obligation du maintien du secret professionnel à travers l’externalisation en cascade vers un simple accord de confidentialité qui peut s’y substituer, sans aucune autre obligation majeure ». Et l’association précise dans la foulée qu’elle « voit ce texte potentiellement comme une forme d’abandon pure et simple du secret professionnel ».

Les PSF de support s’inquiètent donc légitimement. Et ils sont rejoints dans leurs craintes par de nombreux acteurs digitaux au Luxembourg. Il faut dire que le secteur ICT, que le Gouvernement veut pousser à travers son initiative Digital Lëtzebuerg, est directement dépendant du secteur financier et, fortement, de la régulation en place. Aussi, s’interrogent-ils sur la portée du projet de loi, craignant un impact qui tueraient dans l’oeuf toutes les belles ambitions en matière de FinTech, mais aussi d’autres développements digitaux. Rappelons que le gouvernement, ces dernières années, a considérablement investi dans les infrastructures numériques. Des efforts qu’une telle loi pourrait rendre bien vains, selon les acteurs du secteur ICT.

5000 emplois menacés et le reste

Au-delà de nombreuses considérations techniques, l’association Finance & Technology Luxembourg se risque même à évaluer l’impact économique potentiel du projet de loi sur les secteurs de l’IT et de la finance. FTL précise dans son avis avoir « réalisé une première étude sommaire avec les membres de l’association afin d’évaluer les impacts potentiels du projet de loi 7024 en termes d’activité, d’emploi et de chiffre d’affaires pour les PSF de support membres de l’association ».

« En termes absolus, l’emploi des PSF de Support pourrait baisser jusqu’à 25% sur un total estimé à 8000 emplois, donc une baisse de 2000 emplois à court et moyen terme, poursuit l’association dans son avis. Au-delà de ses membres, FTL considère que l’impact sur les établissements financiers sera considérable et estime la perte d’emploi à minimum 10-15% d’un total estimé à 25.000 emplois, donc à plus de 3000 à court et moyen terme. »

De l’avis d’autres acteurs, en dehors de l’association précitée, l’emploi dans l’IT, au-delà de la sphère financière, en souffrirait lui aussi. En coulisse, on évoque des conséquences plus graves encore. Les départements IT des institutions financières risquent tout simplement  de s’évaporer rapidement. Ce qui représentent quelques milliers d’emplois supplémentaires. Le secteur IT pourrait ainsi, « se voir rapidement vider de sa substance ». Derrière ce projet de loi, est pointé le lobbying des acteurs bancaires internationaux, il y a une volonté du secteur financier de se délester de coûts et de contraintes, liés à l’emploi et à la convention bancaire. Les représentants du secteur s’interrogent sur la volonté du gouvernement de rapidement assouplir ces règles, en précisant qu’ils sont conscients de la nécessité d’assouplir, mais qu’il faut le faire avec tact, dans le temps.

Assouplir, mais avec tact

De leur côté, les acteurs ICT souhaitent que le gouvernement puisse mener une étude compréhensive de l’impact d’une telle ouverture. Certains évoquent déjà des conséquences en cascade, au-delà du secteur IT, sur l’immobilier par exemple, qui souffrirait directement de la perte de plusieurs milliers d’emplois sur le marché. Durant les semaines à venir, les acteurs du secteur ICT devraient mener un lobbying intensif auprès du gouvernement et particulièrement du ministre des Finances.

Surtout, ils vont réclamer du temps. Les acteurs IT, encore trop dépendants de la finance, doivent pouvoir se repositionner, en misant sur leurs points forts  pour créer de la valeur, avant de se voir retirer ce qui jusqu’à présent assure leur existence : le secret professionnel imposé par le régulateur. Ces points forts s’articuleront certainement autour de cette culture de la confidentialité et de la protection de l’information. Mais, dans l’état actuel des choses, la plupart ne seraient pas en mesure de compenser les conséquences d’un assouplissement trop radical en capitalisant sur leur savoir-faire en la matière.

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