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A quand une plateforme BPO bancaire luxembourgeoise ?

Il semblerait que ce ne soit plus qu’une question de temps avant de voir apparaître les premières solutions BPO bancaires au Luxembourg. La Place accuse un certain retard, en la matière...

June 23, 2015

Yves-BaguetIl semblerait que ce ne soit plus qu’une question de temps avant de voir apparaître les premières solutions BPO bancaires au Luxembourg. La Place accuse un certain retard, en la matière…

Par Sébastien Lambotte pour l’édition ITnation Mag Printemps 2015

Pourtant, l’émergence de telles plateformes d’externalisation semblent plus que jamais nécessaires, tant pour la préservation de la compétitivité des banques locales et le maintien de l’activité au Luxembourg, que pour le renforcement de l’attractivité de la place financière.

Peut-on encore espérer voir naître une solution luxembourgeoise d’externalisation de processus liés à un core-banking system comme il en existe en Suisse ? La question est plus que jamais d’actualité. Si des solutions répondent aux enjeux de transformation dans les métiers des fonds, au niveau de l’activité bancaire proprement dite, il semble que cela soit plus compliqué. En 2014, BIL et Avaloq avaient fait part d’un projet commun et ambitieux de développement d’une plateforme BPO destinée aux acteurs de la banque. Ce projet n’a finalement pas trouvé de conclusion heureuse. D’autres initiatives sont en cours, ou du moins envisagées, dont une portée par la KBL avec le support des équipes ICT de la banque Suisse Lombard-Odier.

Pourquoi, toutefois, semble-t-il si difficile pour les acteurs luxembourgeois de recourir à l’externalisation et de permettre à de telles solutions d’émerger ? Dans le discours comme sur papier, le modèle BPO est celui de l’avenir. « J’y crois fortement, commente Yves Baguet, COO de la BIL depuis le mois de janvier 2015. Il faut cependant être précis quand on évoque de telles solutions, notamment au niveau du scope de l’externalisation. Une solution BPO fonctionne généralement bien pour un scope bien déterminé, pour un métier ou une activité donnée. Pour un acteur comme la BIL, une banque universelle organisée autour de quatre grands métiers (private banking, retail banking, corporate & insitutional banking, financial market, ndlr), trouver une solution qui réponde à l’ensemble de nos besoins s’avère complexe. »

Le Luxembourg, en décalage

Au-delà du cas précis de la banque universelle, l’absence de solutions pour servir les nombreux acteurs de la banque privée pourtant bien présents, est sans doute liée à la structure du marché ainsi qu’à d’autres éléments intrinsèques à la culture de la Place. « Il faut constater un décalage au Luxembourg par rapport à d’autres centres financiers internationaux. Les opportunités de recourir à de telles plateformes apparaissent de plus en plus comme une évidence dans le chef d’un nombre grandissant d’acteurs. Toutefois, au Luxembourg, on est sans doute freiné par les aspects risques. La force de la place luxembourgeoise réside dans la maîtrise de ce risque. Beaucoup d’acteurs, sans doute, préfèrent d’abord s’assurer du fonctionnement de ce modèle ailleurs, et adopter une solution éprouvée », poursuit Yves Baguet.

On sait en outre que la quasi-totalité des banques présentes au Luxembourg appartiennent à un groupe. Le pouvoir de décision relatif à des décisions stratégiques, comme l’externalisation des processus, ne relève pas du Luxembourg mais de la maison mère.

De plus en plus souvent envisagé

Toutefois, si l’on considère d’une part les changements réglementaires intervenus ces dernières années, entrainant notamment des coûts de transformation ICT conséquents et, d’autre part, le repositionnement du modèle économique de la banque privée au Luxembourg, l’idée d’externaliser certains processus revient plus que jamais au cœur des discussions. « La gestion de l’IT et les fonctions de Back Office représentent un coût non négligeable au niveau de la banque, et particulièrement dans le chef des petites entités, commente Marc Hemmerling, Membre du Management Board de l’Association des Banques et Banquiers Luxembourg (ABBL) et couvrant notamment les dossiers FinTech et Outsourcing. Les banques luxembourgeoises sont mises sous pression, notamment par leur maison mère. Et l’Outsourcing constitue une solution intéressante pour réduire les coûts et maintenir une activité au Luxembourg. Cette externalisation peut se faire à l’échelle du groupe, pour peu que cela soit possible, ou vers des acteurs extérieurs. » Au cœur de cet environnement, l’émergence d’une plateforme BPO au Luxembourg fait de plus de plus de sens. « Une telle mutation de la place permettra de maintenir d’une part les acteurs concernés au Luxembourg et d’autre part de préserver et de développer les compétences autour des businesses/processes financiers, véritables facteurs différenciateurs de la place. »

L’autre frein réside sans doute dans la masse critique, suffisante, pour assurer la rentabilité d’une telle plateforme. Les aspects sociaux, aussi, peuvent constituer un obstacle. « Ce changement de modèle entraine des mouvements au niveau de l’emploi qu’il faut pouvoir prendre en considération, commente Yves Baguet. S’il ne devrait pas forcément impacter considérablement le nombre d’emplois attachés à la fonction informatique, le recours au BPO nécessite que des mouvements s’opèrent de la banque vers l’extérieur. Il faut que ces transferts puissent s’organiser de manière flexible. Le modèle BPO devient en outre particulièrement intéressant s’il se développe hors convention bancaire… » Cela doit donc s’envisager avec une certaine délicatesse. « Toutefois, si ces aspects constituent des difficultés, ce ne sont pas non plus des obstacles infranchissables », assure le COO de la BIL.

Répondre aux spécificités luxembourgeoises

A défaut de trouver des solutions au Luxembourg, les acteurs luxembourgeois pourraient être tentés d’externaliser leur processus vers d’autres places, au sein de leur maison mère, ou vers l’extérieur, avec les risques que cela comporte pour l’emploi au Luxembourg. « Cependant, chaque place a des spécificités, poursuit Marc Hemmerling. Si des services d’externalisation peuvent s’avérer moins coûteux à l’étranger, les solutions que l’on y trouve ne tiennent pas toujours compte des réglementations spécifiques au Luxembourg et des besoins particuliers des clients que les banques de la place on su attirer et fidéliser. Au final, il n’est pas évident que la mise en œuvre de telles migrations soit aussi avantageuse, simple et bénéfique qu’on nous le présente au départ. »

Dans le contexte luxembourgeois, les exigences de l’autorité de régulation de la place financière pourraient aussi être considérées comme des freins à l’externalisation des processus. « Actuellement, une task force au sein de l’ABBL travaille sur ces questions. Il faut évidemment que la mutualisation, au niveau d’une entité légale, réponde aux exigences de la CSSF. Toutefois, il y a sans doute lieu de faciliter le recours à des solutions BPO et, à ce titre, d’aménager la réglementation. Nous souhaitons initier un dialogue constructif à ce sujet avec la CSSF. En outre, l’émergence de telles solutions doit contribuer au maintien des compétences, d’un écosystème complet et de qualité à l’échelle du Luxembourg. S’il y a lieu d’outsourcer, autant que cela puisse se faire depuis le Luxembourg », précise Marc Hemmerling.

Préserver l’activité dans un univers en mutation

Le risque de voir des activités de Back Office, et donc les données bancaires, partir vers d’autres places est réel. Les acteurs de la Place comme les autorités doivent en avoir conscience, et réagir en fonction. « Les acteurs bancaires réfléchissent, se réorganisent à l’échelle de leur groupe. Face à ces enjeux, il faut nous faut faire preuve de créativité et innover. Nous devons aller de l’avant, en discutant avec les acteurs, ceux qui développent le business et font prospérer la place, mais aussi avec les autorités. Il nous faut une réglementation adaptée aux besoins du business tout en garantissant la confiance et la préservation des données, un cadre qui devienne un argument pour la prospérité de la Place et de son développement et non un frein », poursuit le Membre du Management Board de l’ABBL.

Les enjeux opérationnels de la migration

Au-delà des conditions favorables à mettre en place pour faciliter l’externalisation à l’échelle de la Place, le projet de migration vers une plateforme BPO présente de nombreux enjeux à appréhender au niveau de l’institution financière elle-même. Yves Baguet en a identifié cinq. Le premier réside dans la définition du scope de la migration elle-même. « Ce n’est pas la solution qui doit s’adapter aux besoins du client, mais bien le client qui doit s’adapter aux spécificités de la plateforme, précise le COO de la BIL. Une plateforme présente un intérêt aux yeux de ses clients s’il y a un effet de mutualisation des coûts. Et celui-ci n’est possible que s’il y a standardisation. »

Le deuxième enjeu réside dans la complexité des systèmes au cœur de l’institution financière. « Plus le landscape est complexe et technique, plus le challenge lié à l’externalisation sera grand », poursuit Yves Baguet. En troisième lieu, il faut envisager l’interfaçage entre les systèmes gérés en interne et la plateforme. « Il faudra évidemment créer des interfaces, permettant de s’adapter avec la plateforme et permettre de créer de la valeur en s’appuyant sur la solution BPO. » Le quatrième enjeu est l’intégration proprement dite avec une partie de l’existant qui est conservé. « Il y a là un effort de développement et de testing préalable, il faut donc essayer de minimiser l’effort d’intégration avec l’existant (ou appelé “le legacy”). » Le dernier enjeu, au-delà de la migration, réside dans le maintien sous contrôle des coûts. « Une migration de cet ordre a des impacts conséquents sur le modèle opérationnel end-to-end de l’institution bancaire. Un des principaux enjeux, donc, sera de se préparer au changement, de l’organiser en veillant à rester dans les clous du business case initial », explique Yves Baguet.

Si le projet BIL-Avaloq n’a pas trouvé de conclusion heureuse, ce n’est donc pas par manque d’intérêt des deux acteurs à voir le Luxembourg se doter d’une telle plateforme. « Dans la configuration et la situation de la banque, à un moment précis, la solution full BPO envisagée a été considérée comme moins relevante. Cela dit, les deux acteurs se respectent toujours et collaborent d’ailleurs activement sur la Suisse », précise Yves Baguet. La BIL, de son côté, poursuit sa réflexion. « Nous sommes en train de démarrer une étude relative à la stratégie“OPS et IT” pour les années à venir. Nous allons envisager le futur à travers une série de scénarios possibles de transformation opérationnelle et digitale. Nous allons analyser ces scénarios, envisager leur faisabilité. Il n’est pas exclu d’envisager, à l’avenir, de faire de l’ Outsourcing sélectif c’est-à-dire d’ une partie de la chaîne de valeur par exemple… ou de “l’insourcing”. Ce sont des options potentielles à analyser également », commente Yves Baguet.

Des véritables solutions BPO doivent donc voir le jour. Quand ? Il semblerait que ce ne soit qu’une question de temps.

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