Rakuten sera une banque parmi les plus importantes du marché européen

Depuis Luxembourg, Rakuten déploie d’importantes ambitions pour l’Europe. En un an, Rakuten Payment Services S.A. a mis en place une plateforme de paiement centralisée pour l’ensemble de ses marketplaces européennes. En 2016, le géant asiatique lance son activité bancaire à travers l’Europe. Se dotant d’une nouvelle infrastructure « from scratch », sans devoir assumer le poids du legacy, Rakuten veut aller vite et fort. « C’est en proposant une expérience client de qualité que nous pourrons faire la différence », commente Nabil Meziani, CTO de Rakuten Payment Services S.A.

November 2, 2015

Depuis Luxembourg, Rakuten déploie d’importantes ambitions pour l’Europe. En un an, Rakuten Payment Services S.A. a mis en place une plateforme de paiement centralisée pour l’ensemble de ses marketplaces européennes. En 2016, le géant asiatique lance son activité bancaire à travers l’Europe. Se dotant d’une nouvelle infrastructure « from scratch », sans devoir assumer le poids du legacy, Rakuten veut aller vite et fort. « C’est en proposant une expérience client de qualité que nous pourrons faire la différence », commente Nabil Meziani, CTO de Rakuten Payment Services S.A.

Par Sébastien Lambotte pour l’édition ITnation Mag Octobre 2015

Dans l’environnement digital qui est le nôtre, les frontières ne résistent jamais bien longtemps. La success story de Rakuten, en Asie, le démontre clairement. Le groupe est célèbre pour
être rapidement devenu l’un des plus importants acteurs de l’e-commerce au monde. Au départ du Japon, un empire s’est créé. Il s’étend aujourd’hui à l’Europe, où Rakuten a notamment acquis PriceMinister ainsi que plusieurs autres marketplaces. Mais les frontières, en l’occurrence, ne sont pas uniquement géographiques. Des acteurs de l’envergure de Rakuten font disparaître celles qui, en apparence solides, prévalaient encore entre les métiers, et notamment celles derrière lesquelles se protégeaient les acteurs de la finance. En Asie, le groupe est devenu un acteur financier à part entière offrant des services de paiement, de crédit, ou de courtage de titres en ligne…

« Le développement et la diversification de Rakuten sont motivés par une volonté d’offrir une plus grande autonomie à l’utilisateur dans l’utilisation de services dont il a besoin au quotidien », commente Nabil Meziani, Chief Technology Officer de Rakuten Payment Services S.A., entité du groupe implantée à Luxembourg, qui a pour objectif d’appuyer le déploiement du géant asiatique à travers l’Europe.

Car, si Rakuten a rendu perméable la frontière entre commerce et services financiers en Asie, le groupe nourrit des ambitions similaires pour l’Europe. « La volonté est là et elle est forte », confirme Nabil Meziani, qui occupe ses fonctions depuis un peu plus d’un an. « Il faut imaginer Rakuten comme un acteur bancaire retail parmi les plus importants d’Europe d’ici cinq ans. » Voilà qui est dit. La force

de frappe d’un groupe comme Rakuten, en effet, a de quoi faire trembler les acteurs de la banque traditionnelle. Mais, surtout, elle risque de les bousculer, de les contraindre à se transformer rapi- dement, en intégrant vite et mieux les opportunités offertes par les FinTech.

M. Meziani, comment évaluez-vous le Luxembourg en tant que hub FinTech ?

En la matière, la compétition est solide. Si le Luxembourg, avec son régulateur orienté business, ses institutions stables et une expertise considérable en matière d’activité financière, dispose d’atouts réels pour devenir un moteur de l’économie FinTech en Europe, des places comme Londres sont aussi extrêmement bien positionnées. À l’heure actuelle, je dirais que Londres a une longueur d’avance, due notamment à sa capacité d’attirer des investisseurs. Cependant, il est encore possible pour le Luxembourg de changer la donne.

Rakuten est présent au Luxembourg, avec des activités technologiques. Pouvez-vous nous expliquer quelles sont les missions de votre entité ?

J’ai rejoint Rakuten Payment Services S.A., il y a un an. La première mission a été de centraliser, sur une plateforme unique, les paiements effectués depuis nos différentes marketplaces en Europe. Nous avons donc obtenu la licence d’institution de paiement de la CSSF en octobre 2014 et mis en place une plateforme s’appuyant sur une infrastructure installée au Luxembourg. Cela a été un des challenges qui nous ont occupés pendant cette année. L’autre grand défi réside dans le lancement de services bancaires à travers l’Europe, développés depuis Luxembourg en 2016. Nous avons d’ailleurs obtenu notre licence bancaire en février 2015. Au niveau technologique, cela implique le choix d’un système core-banking et d’un bus de service d’entreprise (ESB) et leur déploiement… C’est ce qui nous occupe pour le moment.

Pouvez-vous nous en dire plus sur vos ambitions en tant qu’acteur bancaire ?

Nous voulons déployer, en Europe, un écosystème similaire à celui qui prévaut aujourd’hui en Asie. La volonté est de rendre le client plus autonome par rapport à une série de besoins. D’abord par rapport à ses besoins en biens matériels, à travers des plateformes e-Commerce, puis ensuite par rapport à d’autres nécessités, en ce compris des services financiers.

Proposer un one-stop-shop, mais pour tous les besoins quotidiens, en somme…

On pourrait le formuler comme cela. En Asie, cette vision est une réalité pour Rakuten et ses clients. En Europe, il faut encore travailler sur tout ce qui est brand awarness. Mais la volonté est réelle et notre défi, au niveau technolo- gique, est de concrétiser cet écosystème.

Comment comptez-vous aborder le marché ?

« On a l’impression qu’une banque doit forcément être un structure lourde et complexe à gérer. Nous pensons qu’il faut mettre fin à ce paradigme car, en la matière,
il y a moyen d’innover. »

Aujourd’hui, notre plateforme de paiement sert l’ensemble de nos marketplaces. L’activité bancaire, dans un premier temps, va aussi permettre d’accorder des prêts à nos clients existants, en commençant par les petites et moyennes entreprises, et notamment des marchands qui utilisent nos plateformes e-Commerce, mais pas seulement. Nous prévoyons donc de commencer par développer une activité bancaire B2B, avec l’octroi de lignes de trésorerie et de solutions pour augmenter leurs fonds de roulement. Dans un deuxième temps, nous entendons proposer des services en mode B2C, comme des comptes et des prêts à la consommation. D’autre part, nous pensons aussi que les services et l’infrastructure technologique sur lesquels s’appuiera cette offre bancaire, permettant une grande modularité et un haut niveau d’abstraction, pourront bénéficier à des tiers.

Une banque… mais aussi une FinTech donc ? Quelle sera votre plus-value technologique ?

Dans l’inconscient collectif, actuelle- ment, on a l’impression qu’une banque doit forcément être une structure lourde et complexe à gérer. Nous pensons qu’il faut mettre fin à ce paradigme car, en la matière, il y a moyen d’innover afin de dépasser cette lourdeur. C’est tout l’enjeu de la dynamique FinTech qui nous anime, et qui devrait faire évoluer le marché. Il faut, pour cela, partir du client, des pain points, identifier les freins et voir comment y répondre. L’enjeu est de pouvoir optimiser l’expérience client. La principale difficulté réside dans les aspects réglementaires et dans une ges- tion optimale du risque. Mais les possi- bilités de dépasser certains écueils sont réelles. Quelque part, il nous appartient de transformer des clients en fans.

Comment envisagez-vous de pénétrer le marché ?

« L’IT ne doit pas seulement s’aligner aux besoins du business. La technologie doit être envisagée comme créatrice de valeur. »

La vision d’Hiroshi Mikitani, Founder, Chairman et CEO, est de faire de Rakuten un acteur global et donc de développer sa présence sur le marché européen, au niveau de l’ensemble des services que nous pouvons proposer. Ce développement passe par des acquisitions stratégiques mais aussi des développements propres. Ce que nous menons, au Luxembourg, se résume d’abord en un effort de centralisation des services, afin d’en optimiser la ges- tion et les coûts. Notre mission consiste aussi en un travail de développement de nouvelles activités. D’autre part, nous pensons que c’est avant tout à partir de l’expérience client que nous avons à of- frir que nous allons gagner des parts de marché et développer notre présence.

Par rapport à vos concurrents sur le secteur bancaire, qu’est-ce qui vous avantage aujourd’hui ?

Je pense que c’est la culture de l’innovation, cette dynamique entrepreneuriale qui anime l’ensemble du groupe et nos équipes. La taille de Rakuten à l’échelle globale et le brassage d’idées qui s’opère au niveau du groupe, permet de développer de nouveaux services à haute valeur ajoutée pour les clients, qu’ils soient B2B ou B2C. Nous concernant, c’est sans doute en travaillant sur une expérience améliorée autour de services bancaires que se situe le principal vecteur d’acquisition de clients. Mais il nous faut, pour y arriver, nous appuyer sur un écosystème digital sécurisé, efficace, disponible et simple d’utilisation. Nous avons un avantage par rapport aux acteurs déjà en place depuis longtemps : nous n’avons pas le poids du legacy. Nous avons l’opportunité de construire une banque qui ne souffre pas d’une certaine inertie héritée du passé. Nous pouvons être innovants et disruptifs dans notre approche, afin de transformer la « customer experience ».

Dans quelle mesure la technologie peut vous aider dans cette quête de nouveaux clients ?

Elle est essentielle. Alors que, beaucoup, aujourd’hui, se contentent d’aligner l’IT aux besoins du business, je pense qu’il faut aller plus loin. La technologie doit être envisagée comme créatrice de va- leur. Pour y arriver, il faut pouvoir mieux comprendre ce qu’elle peut apporter, développer une vision sur les évolutions attendues dans les cinq années à venir, et pouvoir déterminer comment elles permettront de créer de la valeur. Il faut voir comment elles peuvent être mises au service de la création de nouveaux services. C’est pour cette raison qu’il est essentiel, aujourd’hui, d’adjoindre des compétences techniques aux com- pétences business. Il faut pouvoir se mettre dans les chaussures du consommateur et voir comment répondre à ses attentes en considérant les possibilités techniques à notre portée.

Comment définiriez-vous une expérience client optimale ?

Il faut que le concept d’ «omnichannel » devienne une réalité. Il faut qu’une opération que vous avez initiée par un canal puisse être suivie et finalisée sur d’autres supports. Il faut pouvoir offrir les mêmes services, la même expérience, quel que soit le device ou le moment que privilégie le client pour accomplir des opérations. On parle beaucoup de cet enjeu, mais peu parviennent à s’approcher de cet idéal. Auprès des acteurs traditionnels, la superposition de technologies et l’organisation de l’information en silos constituent des freins importants. La banque de demain est celle qui pourra mettre les opportunités technologiques au service des besoins des clients, en leur offrant une expérience améliorée et en allégeant sa structure opérationnelle. Des efforts doivent être réalisés afin de diversifier les services, pour s’adapter aux besoins du consommateur et pour faciliter
les transactions. Pourquoi, même, ne parviendrions-nous pas à proposer une expérience plus divertissante ?

Dans quelle mesure, vos plateformes e-commerce constituent-elles des portes d’entrées de choix pour capter le client ?

« Rakuten en Europe a pour ambition de devenir une banque retail à part entière. »

Comme précisé, dans un premier temps, c’est dans une dynamique B2B que nous voulons proposer des services bancaires. Bien sûr, nos partenaires dans l’e-Commerce, les marchands qui proposent des produits via nos plateformes, sont des cibles privilégiées. Mais ce ne sont pas les seules. Nous voulons proposer des services à d’autres acteurs économiques que nos partenaires. Dans un deuxième temps, nous entendons proposer de nouveaux produits, en identifiant une proposition de valeur unique à l’échelle de l’Europe.

Mais ces marketplaces, pour vendre des services au client final, ne constituent-elles pas des vecteurs idéaux pour adresser des produits financiers à des consommateurs ?

« En cinq ans, tout peut fondamentalement changer au niveau du secteur financier. »

Certainement. C’est là qu’entre en jeu la notion d’expérience client intégrée. On peut très bien imaginer que, à l’avenir, un consommateur qui consulte plusieurs fois un produit relativement onéreux, comme une montre de luxe par exemple, sur une de nos marketplaces, se voit adresser une offre de crédit à la consommation de la part de Rakuten. D’autre part, en profitant d’outils ana- lytics, cette offre de crédit pourrait être comparée aux autres offres du marché et être adaptée en temps réel afin de rester concurrentielle. L’expérience, pour celui qui désire cette montre, est complète.

La banque que vous mettez en œuvre, actuellement, sera-t-elle avant tout digitale ?

À terme, nos services couvriront l’ensemble de l’offre de services bancaires. Rakuten, en Europe comme en Asie, a pour ambition de devenir une banque retail à part entière.

Sur quelles ressources vous appuyez-vous, au niveau IT, pour doter votre banque d’une infrastructure opérationnelle ?

Nous sommes une équipe de sept personnes chargées de relever ce challenge à la fois beau et enthousiasmant. Si cette équipe est amenée à grandir, au fur et à mesure du développement de l’activité, je pense qu’il est important de préserver une structure légère, animée par un esprit start-up et une volonté d’innover. Nous sommes particulièrement impliqués et motivés par le défi à accomplir. À tel point que nous veillons à tous les aspects nous-mêmes. Pour le choix du logiciel core-banking, par exemple, nous avons choisi de ne pas recourir à des consultants mais de prendre le temps d’aller chercher des garanties nous- mêmes et d’évaluer les avantages et inconvénients des solutions en présence avec soin.

Sur quelles solutions et infrastructures allez-vous vous appuyer ?

Au niveau du logiciel de core-banking, nous avons opté pour le T24 de Temenos. Pouvoir gérer l’ensemble, en préservant une structure légère, nous a amenés à opter pour une infrastructure hyper-convergée s’appuyant sur Nutanix. Nous sommes la première structure, au Luxembourg, à déployer et à faire tourner une telle infrastructure, hébergée dans des data centres placés sur le territoire grand-ducal.

Vous évoquiez une nécessité de pouvoir appréhender les évolutions technologiques à cinq ans. Que voyez-vous venir, personnellement ?

Je pense que, en cinq ans, tout peut fondamentalement changer au niveau du secteur financier. Ne fut-ce d’ailleurs que si on considère comment les acteurs des télécommunications pourraient investir le segment. Les transactions financières, par exemple, pourraient très bien passer par d’autres voies que celles utilisées actuellement, des voies portées par les acteurs des télécommunications par exemple. C’est principalement intéressant pour des zones où l’utilisation de la carte bancaire n’est pas généralisée et où il n’y a pas de distributeurs de billets. De l’argent pourrait très bien être converti en minute d’appel et des minutes d’appels utilisées pour faire des achats et transiter par les réseaux mo- biles. Il y a encore beaucoup de choses auxquelles on n’a pas touché. Dans ce contexte, l’essentiel est de se demander comment faire pour mieux accompagner les consommateurs dans leur vie de tous les jours, où qu’ils soient, quel que soit le moment.

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