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Avec la blockchain, le contrat fait loi

Pour Patrick Hennes, director au sein de PwC Luxembourg, il est important de mieux comprendre la blockchain pour en retirer tous les avantages. Les applications, à travers la possibilité d’exécution automatique de contrats, sont nombreuses. Via le projet Fundchain, notamment, PwC et ses partenaires explorent les opportunités offertes par la technologie à l’industrie des fonds.

July 13, 2018

C’est le propre de toute nouvelle technologie : elle prête à de nombreux amalgames. Trop souvent, on confond la technologie elle-même et les possibilités qu’elle offre avec les usages qui en sont faits. La blockchain a été popularisée avec les crypto-monnaies et plus singulièrement avec le Bitcoin. Elle ne peut toutefois pas se limiter à cette application particulière. « La connaissance insuffisante de ce que recouvre la blockchain engendre beaucoup d’idées reçues, souvent fausses, reconnait Patrick Hennes, Director au sein de PwC Luxembourg. Il faut donc être prudent lorsque l’on évoque cette technologie à laquelle nous croyons beaucoup. »

 

Automatiser l’exécution d’un contrat

Avant de parler d’une technologie, il est donc toujours important de se mettre d’accord sur une définition. « La blockchain, c’est un protocole informatique qui rassemble plusieurs éléments connus depuis plus ou moins longtemps : la base de données distribuée, la cryptographie, la règle du consensus, l’horodatage, poursuit Patrick Hennes. Si l’on considère la cryptographie par exemple, c’est une technologie ou technique qui remonte à plusieurs siècles avant notre ère. C’est dans la manière dont la blockchain assemble ces éléments que l’approche est innovante. »

La blockchain est avant tout un réseau distribué. « On ne peut donc pas l’utiliser seul. Son succès dépend du nombre de participants », précise le directeur. La distribution des données, leur immuabilité et la transparence pour tous sont les éléments qui fondent la confiance entre participants. « La grande nouveauté, avec la blockchain, c’est que c’est le contrat, ou le smart contract, qui fait loi. Un smart contract est une fonction qui répond à la règle “If, Then”. Autrement dit, si certaines conditions sont remplies, une tâche peut être exécutée automatiquement. Une fois la fonction inscrite dans la blockchain, impossible d’y déroger. Quand hier, il fallait s’assurer que les réglementations soient bien respectées, désormais, on peut s’assurer que les obligations des acteurs parties prenantes à un accord soient respectées préalablement. »

 

Niveau de confiance ultime

Un exemple vaut souvent mieux qu’un long discours. La compagnie d’assurances AXA a établi un smart contract sur une police d’assurance indemnisant tout retard de vol d’avion de plus de deux heures. La couverture a été traduite dans une fonction automatique, inscrite dans la blockchain. Après analyse des informations relatives aux heures d’arrivée des avions, en cas de retard avéré (IF), l’indemnité est automatiquement versée au souscripteur (THEN). « La technologie permet de digitaliser des contrats et de garantir leur respect. La confiance est renforcée, en raison de l’exécution automatique de l’accord et du fait que l’on ne peut y déroger », explique Patrick Hennes.

Au sein de PwC Luxembourg, cela fait plus de deux ans que Patrick Hennes travaille sur cette technologie. Dans le domaine de l’asset servicing, le cabinet est d’ailleurs l’un des participants du projet Fundchain qui vise à reproduire, à travers un environnement Distributed Ledger Technology, l’écosystème de fonctions permettant la distribution des fonds. « Les gains sont évidents. Au cœur de la chaîne de valeur, nous allons regarder ce qui est coûteux, inefficace ou encore redondant, notamment au niveau des données, poursuit Patrick Hennes. L’identification ou la reconnaissance de l’investisseur, par exemple, peut être inscrite une fois pour toutes à travers l’écosystème, pour éviter à plusieurs acteurs distincts d’avoir à effectuer le même travail de KYC le concernant. »

 

La technologie au service de l’industrie des fonds

Rapidement, Fundchain a démontré que la technologie avait sa place dans cet environnement. Désormais, la volonté est de proposer des services plus efficients, comme du KYC partagé ou encore des fonctions d’agent de transfert, de custody ou de distribution. « L’enjeu n’est pas de remplacer les fonctions existantes, mais par exemple d’automatiser des tâches d’exécution pure, en garantissant un haut niveau de confiance entre acteurs d’un même écosystème », poursuit Patrick Hennes. Derrière, il faut s’assurer d’une adoption large de ces solutions à l’échelle du marché. « La technologie révèlera tout son potentiel si une masse critique d’acteurs, en ce compris le régulateur, y adhèrent. Alors, chacun pourra profiter de réels gains de temps et de ressources, précise le directeur de PwC. Un des défis, pour garantir une bonne adoption de ces outils, réside dans la standardisation. »

Luxembourg est intéressé au premier chef par les applications de la blockchain au service du secteur financier. Mais les gains d’efficacité que promet la technologie concernent tous les domaines d’activité. « Demain, en plaçant tout le cadastre d’un territoire sur une blockchain, il sera possible de vendre un terrain ou un bien immobilier par téléphone, sans recourir à un notaire. En matière de traçabilité des aliments aussi, on peut faire d’importants progrès. Une chaîne de restaurants américaine, par exemple, retrace le trajet des poissons qu’elle sert, depuis la pêche jusqu’à l’assiette. Carrefour, en France, a lancé la première blockchain alimentaire d’Europe, pour garantir l’origine de ses produits. »

 

Pas forcément énergivore

Beaucoup d’idées reçues, non avérées, sont véhiculées autour de cette technologie. Il est souvent rappelé que la blockchain, pour fonctionner, consomme beaucoup d’énergie. « Ce n’est pas forcément vrai. L’énergie consommée dépend du protocole en place pour accepter la transaction. Or, de nouvelles formes de blockchain, suivant divers principes, permettent d’arriver à des consensus entre membres du réseau sans forcément devoir consommer beaucoup d’énergie », poursuit Patrick Hennes.

Le principe de proof of work est celui qui soutient le Bitcoin. Dans ce contexte, les nœuds doivent placer leur puissance de calcul au service de la résolution d’une énigme. La transaction n’est validée que lorsque 51 % des nœuds ont trouvé la solution. Mais d’autres principes, comme celui de proof of stake ou de proof of authority, peuvent aussi garantir le fonctionnement de la blockchain. « Dans le premier cas, le nœud n’aura pas à effectuer un calcul, mais devra avancer une mise suffisamment grande pour participer au minage et être rétribué. Dans le second cas, la possibilité de valider la transaction est donnée à des nœuds ayant autorité. Ces deux mécanismes, qui selon l’application peuvent trouver leur légitimité, sont beaucoup moins énergivores que le premier. »

 

Relever de nouveaux défis

La compréhension de la société de la technologie évolue et gagne progressivement en maturité. Chaque jour, de nouveaux cas sont envisagés pour répondre à de nouveaux enjeux. « Le challenge réside dans l’adoption du marché, l’établissement de nouveaux cas d’usage. Ils sont nombreux et vont bouleverser la manière dont sont organisées de nombreuses fonctions actuelles, à commencer par des acteurs en charge de la réconciliation des transferts de liquidité ou encore des missions de contrôle, comme pour l’audit, précise Patrick Hennes. A plus d’un niveau, en répondant à des problématiques dans des centaines de domaines, la blockchain va changer nos vies. »

 

Blockchain et données personnelles

Si l’on considère les caractéristiques de la blockchain, on comprend rapidement que toutes les informations qui s’y trouvent peuvent être vérifiées par tous, et qu’elles y sont stockées éternellement. A quelques jours à peine de l’entrée en vigueur du RGPD, cela soulève quelques questions relatives à la gestion des données personnelles qui pourront s’y retrouver, ne fût-ce qu’à l’égard du droit à l’oubli. Une des pistes envisagées, pour dépasser cette problématique, vise à ne pas stocker les données personnelles dans la blockchain, mais bien de les laisser entre les mains de l’utilisateur. Au cœur de la blockchain n’est simplement inscrit qu’un hash, un élément qui permet d’établir le lien avec ses données. Celles-ci sont cryptées au moyen d’une clé dont l’utilisateur reste le seul maître. C’est à lui d’en autoriser l’accès à l’un ou l’autre acteur, à sa guise. Sans cela, ses données restent invisibles de l’ensemble de la communauté.

 

La blockchain et le paradoxe des généraux byzantins

La blockchain a permis de résoudre le paradoxe des généraux byzantins, bien connu des informaticiens. Il s’agit d’une métaphore illustrant une problématique relative à la confiance des éléments partagés. Plusieurs généraux byzantins sont sur le point d’attaquer une ville ennemie. Ils se tiennent tout autour de cette grande ville et ne peuvent communiquer entre eux qu’à l’aide de messagers de confiance afin de coordonner leur attaque. Parmi ces généraux et ces messagers, certains peuvent cependant être des traîtres. Comment, dès lors, s’assurer de la victoire malgré les risques de trahisons ? La solution de ce problème réside dans la faculté des généraux à mener à bien cette attaque malgré les risques de trahison en obtenant un « consensus décentralisé ». C’est l’obtention de ce consensus que permet notamment la technologie blockchain. Pour la première fois, deux individus peuvent échanger un titre de propriété digital, sans s’être même jamais parlé ou rencontré, de façon sécurisée et par internet.

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