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La crucifixion de l’Open Banking au Luxembourg

La directive PSD2, que le Luxembourg n’a pas encore transposée, risque bien de chambouler l’ensemble de l’écosystème financier européen. Les risques sont conséquents pour les acteurs financiers. Mais il y a aussi des opportunités à saisir si, selon Jean Diederich, président de l’APSI, les acteurs développent une vision claire et une stratégie adaptée à la nouvelle donne. 

March 29, 2018

Jean Diederich, Président de l’APSI

La directive PSD2, que le Luxembourg n’a pas encore transposée (date butoir au 13 janvier 2018), risque bien de chambouler l’ensemble de l’écosystème financier européen. Les risques sont conséquents pour les acteurs financiers. Mais il y a aussi beaucoup d’opportunités à saisir si, selon Jean Diederich, partner chez WAVESTONE et président de l’APSI, les acteurs développent une vision claire et une stratégie adaptée à la nouvelle donne.

La PSD2 est entrée en vigueur le 13 janvier dernier. Elle n’a pourtant pas encore été transposée en droit luxembourgeois. Qu’est-ce que cela implique pour la place luxembourgeoise ?

C’est un problème. Je ne sais pas pourquoi la directive n’a pas pu être transposée au 13 janvier, il faut demander ça au Ministère, d’ailleurs, ce le même cas pour d’autres directives. Un projet de loi est disponible et a été déposé à la rentrée 2017. Et seulement le 13 janvier un rapporteur a été désigné à la Chambre de Députés, le Conseil d’État ne s’est pas encore prononcé non plus. Pour un État qui affirme vouloir être une « fintech nation », cela soulève des questions de réputation. L’Angleterre, la France ou encore l’Allemagne ont transposé la directive, mais aussi d’autres pays comme la Hongrie (anti-européenne), voir la Bulgarie (le plus pauvre pays de l’UE). Au Luxembourg, rien. La transposition plus rapide outre-Manche a notamment entrainé, au premier jour d’entrée en vigueur de la directive, l’introduction de plus de 200 demandes de dossiers de la part d’acteurs désireux de se positionner comme nouveaux acteur TPPs (Third Party Providers) du type Account Information Service Providers (AISP) et/ou Payment Initiation Service Providers (PISP), Ces nouveaux acteurs doivent être réglementés par les différentes autorités bancaires (comme la CSSF à Luxembourg) donnant droit à du « passporting » européen. Mais sans loi le Luxembourg n’est pas capable de se positionner vis-à-vis des « fintechs » ou acteurs traditionnels. On se dit que le Luxembourg a de nouveau laissé passer une belle opportunité dans le domaine du digital.

Au-delà de la régulation, les acteurs traditionnels de la finance, en l’occurrence les banques, sont aussi directement concernés par ce changement réglementaire. Quels sont les enjeux ?

Les acteurs bancaires sont contraints d’ouvrir techniquement leur système bancaire à travers des APIs sécurisés pour permettre à tout AISP autorisé par le client d’accéder à ses données du compte de paiement (compte courant) et au PISP d’initier des transactions de paiements au départ de ce compte. La directive laisse encore un peu de temps à ces acteurs pour adapter leurs systèmes et finaliser leur plateforme d’APIs. Mais on sait que, au dernier trimestre 2019, tout le monde devra être en conformité. Les acteurs bancaires ont beaucoup résisté face à cette ouverture réglementaire, avec notamment la volonté de maintenir des exigences d’authentification forte pour toute transaction réalisée à partir de 0,01 €. Ils n’ont finalement pas eu gain de cause car de nouveaux acteurs, comme Amazon Payments, PayPal … ont souhaité proposer une autre expérience aux utilisateurs et ont ainsi imposé leurs visions clients. La directive permet à ces nouveaux acteurs de se positionner plus facilement sur le créneau du paiement, pour peu qu’ils assument d’être réglementer suffisantes. De nouveaux intermédiaires vont se positionner entre les banques et les consommateurs. Cette désintermédiation devrait s’accompagner d’une perte de revenu lié au paiement pour le système bancaire et les cartes.

Qu’est-ce que le consommateur a à y gagner ?

Aujourd’hui, sa carte de paiement lui coûte de l’argent. On estime que les frais liés aux cartes de crédit (Visa ou MasterCard) s’élèvent annuellement à 500 millions d’euros en Europe. Avec PSD2, il ne sera plus nécessaire de passer par les cartes proposées par les émetteurs banques. Potentiellement, le consommateur va réaliser des économies sur ses transactions car les frais sur les virements sont beaucoup onéreux. Le paiement, s’il est initié par un géant de l’e-commerce p.ex. pour un achat sur sa plateforme, se passera des intermédiaires et des frais qui y sont attachés. D’autre part, en assumant la garantie liée au paiement, ces nouveaux acteurs vont pouvoir proposer des expériences enrichies, à l’image du « one click buy » d’Amazon. L’expérience de l’authentification 3D Secure pour les cartes de type VISA & MASTERCARD, tant défendue par les banques, et pourtant fastidieuse aux yeux du consommateur, car amenant beaucoup de frustrations des 2 côtés, les commerçants perdent beaucoup de chiffres d’affaire, ils voient 2/3 des paniers d’achat abandonnés (car le 3D est vu comme une vieille approche technique trop compliqué, trop de mot de passe et d’OTP), les consommateurs car ils n’ont pas pu confirmer leurs achats en ligne. PSD2 est là pour rendre le paiement à la fois moins cher, plus simple et plus sûr. Un acteur comme Amazon, aujourd’hui, a d’autres moyens, et notamment une meilleure exploitation de la donnée et des comportements du consommateur, pour garantir l’authentification de son utilisateur de façon ultra simple avec une meilleure gestion du risque.

Comment doivent se positionner les acteurs bancaires traditionnels dans ce nouveau monde ? 

C’est un challenge important. Face à ces géants du web et de nombreux nouveaux entrants, il faut que les banques développent une autre vision. Elles doivent se garantir une place dans ce nouvel environnement qui va se dessiner, en reconsidérant mieux les besoins du consommateur, en tirant parti de ce que le digital offre comme possibilités. Au-delà de la mise en conformité, avec le développement d’APIs, permettant l’accès aux données bancaires, elles doivent reconsidérer leur modèle, en développant de nouvelles approches et services. Dans un environnement où tout devient transparent, dans la mesure où un acteur bancaire pourra accéder aux données de compte de son client chez un de ses concurrents, il faudra redéployer des offres et services à forte valeur ajoutée. A partir de cette donnée, on peut faire beaucoup, construire de nouveaux services, de nouveaux produits, plus personnalisés. Les banques, aujourd’hui, ne valorisent pas du tout ces données, elles font juste de l’archivage de transactions de paiement sans réelle valeur ajoutée.

Pour les acteurs traditionnels, comment bouger ?

On va vers un monde où chaque acteur sera plus spécialisé, en se concentrant par exemple sur des domaines qui garantissent des marges suffisantes, et plus connecté à un ensemble de partenaires. Tout cela se fera largement dans le cloud (à travers une API Economy). C’est un nouveau monde qui s’ouvre. Et chacun doit mettre en œuvre les changements nécessaires pour se garantir une place de choix en son sein. Les jours d’une approche cloisonnée de type PSF-S sont comptés depuis 2013, il fallait juste l’admettre il y a 5 ans et évoluer plus rapidement vers les nouveaux modèles.

Comment se positionnent les acteurs luxembourgeois ?

Le problème, à Luxembourg, c’est que les banques ont perdu beaucoup de temps en donnant comme excuses qu’il fallait s’occuper de MiFID 2. Une grande majorité ne s’est pas du tout attachée suffisamment tôt aux enjeux inhérents à la PSD2, pourtant connus depuis la publication de la directive dans le JO de l’UE en janvier 2016. Or, l’enjeu est de taille. Chacun sera amené à repenser son modèle et sa stratégie, sa position dans le paysage, pour trouver notamment les moyens de monétiser des APIs. Face à la compétition, qui aura potentiellement accès à ses données, une banque devra trouver le moyen de se distinguer. Face aux nouveaux entrants, elle devra innover, créer de nouveaux services et, pour cela, en abandonner d’autres. La transformation requise implique ces deux mouvements pour se spécialiser. Il apparait évident que les acteurs de demain ne pourront plus prétendre rester des généralistes et être bons dans tous les domaines. Le volume va aussi jouer un rôle important, voir les discussion entre JP Morgan et Amazon pour proposer une approche commune, le meilleur des deux.

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