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« Entre innovation et progrès, le meilleur est à venir »

Marc Giget, grand spécialiste de l’innovation et de son impact sur le progrès humain, Président de l’European Institute for Creative Strategies and Innovation (EICSI), membre de l’Académie des Technologies, a été invité à clôturer la première édition de la battle-conference WOOP, qui se tiendra le 28 mars à la Maison du Savoir à Belval. A ses yeux, l’innovation n’a d’intérêt que si elle est mise au service de l’humanité, du progrès. Ce qui, ces dernières années, est loin d’avoir été le cas. Heureusement, face au techno-centrisme, la tendance est au retour en force des valeurs humanistes. 

March 21, 2019

Pouvez-vous nous résumer quels sont les principaux moteurs de l’innovation?

Marc Giget, grand spécialiste de l’innovation et de son impact sur le progrès humain, Président de l’European Institute for Creative Strategies and Innovation (EICSI), membre de l’Académie des Technologies

Si l’on considère le temps long, les moteurs de l’innovation se distinguent en deux grandes catégories. La première a trait à la nature humaine. Depuis toujours, l’Homme a été animé par cette volonté de se dépasser. Léonard de Vinci, par exemple, explique « avoir imaginé toutes ses inventions parce qu’il était possédé, comme tous les hommes de son temps, par une volonté de puissance, un désir de dompter le monde ». L’humanité a toujours été nourrie par des passions puissantes, des rêves, des idées, des utopies… Elles sont profondément inscrites dans la nature de l’homme. Le deuxième moteur réside dans l’avancée constante des sciences et des techniques, qui soutiennent l’humain dans ses quêtes passionnées.

En quoi se distinguent innovation et progrès ?

L’innovation concerne renouvèlement, par l’introduction d’un élément nouveau dans la réalité. Pendant longtemps, l’innovation a été synonyme de progrès, jusqu’aux deux conflits armés qui ont déchiré l’Europe. Par la suite, la notion de progrès humain lié à l’innovation technique et technologique s’est révélée problématique, et l’est d’ailleurs encore aux yeux de nombreux Européens. D’un point de vue philosophique, on parlera de progrès pour évoquer une marche en avant, une avancée positive dans la poursuite d’un idéal humaniste. Une nouveauté technologique ou organisationnelle est « neutre », ni bonne ni mauvaise. Mais on ne parlera de progrès si elle est mise en œuvre pour générer un mieux au profit de l’humanité.

Aujourd’hui, l’innovation sert-elle suffisamment le progrès ?

Les grandes périodes de progrès, comme la Renaissance, sont celles qui ont donné lieu à de réelles innovations humanistes, qui ont permis d’améliorer la condition humaine, les relations entre les hommes, la vie dans la Cité, le rapport à la nature. Si l’on analyse les innovations intervenues ces dernières décennies, on constate qu’elles n’ont pas vraiment généré d’amélioration d’un point de vue macro. Au niveau micro, certes, on constate une accélération des cycles de transformation. Mais il s’agit là plus de transformation de l’existant, de numérisation et d’automatisation, que de réelle création d’activités nouvelle. Rien de comparable avec, par exemple, ce qu’a pu représenter l’invention de l’automobile et de l’avion dans les transports ou du cinéma au service du divertissement… On parle beaucoup de destruction créatrice, mais la destruction est plus rapide que prévue et la création se fait attendre.

L’innovation devrait donc davantage intégrer des enjeux de responsabilité sociétale ou éthique…

Elle n’a pas le choix. Si elle ne le fait pas, elle sera tout simplement rejetée. On constate que cet écart entre innovation et progrès réel génère une insatisfaction de plus en plus grande à l’échelle de la société. Les évolutions technologiques actuelles qui suscite souvent davantage de craintes que d’enthousiasme. Nous sommes dans une ère « techno-centrée », où les innovations ne servent pas les grandes aspirations humanistes et n’améliorent pas de façon évidente la situation des hommes. Il faut donc repenser la manière dont on innove, qui ne dépend qu’à hauteur de 20% de la technologie. Le reste a trait aux souhaits des utilisateurs, au sens que crée la nouveauté, au respect des valeurs.

Comment, à l’avenir, l’innovation peut-elle être davantage mise au service du progrès ?

Elle doit davantage être envisagée au service des aspirations de l’homme, s’articuler autour des valeurs humanistes et éthiques communément partagées. En la matière, le meilleur est à venir et il arrive toujours à la fin. L’analyse de l’histoire révèle en effet plusieurs vagues de nature « techno-chiante », avec une accumulation de savoir technique sans réel progrès, comme ce que l’on vit actuellement. Puis, à un moment, la société a repris la main, pour effectuer une synthèse créatrice au service de l’humanité, comme ce fut le cas lors « des Lumières » de la « Renaissance » et de la « Belle Epoque ». Elle apprend alors à mieux combiner la technologie au service de grands projets de société. Personne ne rêve de cloud computing ou de big data, mais bien de pouvoir se loger décemment, de vivre heureux auprès de ses proches, en bonne santé, d’avoir la possibilité de voyager…  Or, aujourd’hui, partout, de l’ONU au FMI, en passant par les grands forums mondiaux, on constate que la tendance est au grand retour des valeurs au service d’un idéal commun de progrès partagé pour rassembler une société fragmentée.

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