TECH NEWS

La voiture autonome s’invite au Tribunal

Un procès fictif relatif à un accident impliquant un véhicule autonome a été organisé au cœur du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Des étudiants en Droit de l’Université de Luxembourg, invités par l’ACA, débattaient de la responsabilité du conducteur et du constructeur devant des magistrats.

December 12, 2018

Ce lundi, le Tribunal d’Arrondissement de Luxembourg accueillait un procès fictif visant à statuer sur les responsabilités des parties concernées dans un accident impliquant une voiture autonome. Sur invitation de l’Association des Compagnies d’Assurance et de Réassurance (ACA), l’Université du Luxembourg et ses étudiants en droit se sont penchés sur cette problématique particulière. Dix-huit d’entre eux devaient plaider la cause de leur client, à savoir la victime de l’accident, le conducteur du véhicule et son constructeur. Ils étaient soutenus dans leur démarche par MesJean-Louis et Franz Schiltz, de l’étude Schiltz, et MeMathieu Richard, de l’étude Juridex.

 

Une voiture autonome fait un blessé au Kirchberg

Le scénario nous emmène quelques années dans le futur. Nous sommes en 2030, le 15 juillet exactement. Depuis un peu plus de cinq ans, le gouvernement luxembourgeois a autorisé la circulation des véhicules autonomes sur toutes les routes du territoire. Paul Müller est l’heureux propriétaire d’un véhicule de la marque DESLAR et se laisse conduire, en cette belle journée, sur le Boulevard John F. Kennedy, au Kirchberg. Tout semble tranquille quand soudain le véhicule émet un signal d’alerte et demande à Monsieur Müller de poser ses mains sur le volant. Ne décelant aucun danger apparent, le conducteur fait fi de l’injonction de son véhicule. Celle-ci fait alors un brusque écart vers la droite et heurte Michel Schleck, qui se trouve sur le trottoir.

 

Envisager la question de la responsabilité dès maintenant

Ce dernier, grièvement blessé (fractures des côtes et de sa jambe droit, traumatisme crânien) entend bien se défendre et obtenir des dédommagements. Dans ce cas de figure, cependant, la question de la responsabilité mérite d’être débattue devant les juges. Est-ce au constructeur de la voiture autonome ou au conducteur à l’endosser ? A moins que la responsabilité ne soit partagée ? Ce projet fictif, qui implique une technologie émergente, intéresse au plus haut point les assureurs qui seront à l’avenir amenés à couvrir les risques.

 

La dynamique propre du véhicule mise en cause

Pour les avocats de la victime, la responsabilité du conducteur comme du constructeur est engagée. D’abord parce que ce véhicule doté d’un mode de conduite autonome requiert la présence d’un conducteur capable de prendre le contrôle à tout moment. « M. Müller, en décidant de ne pas prendre en main le volant suite aux signaux d’alerte, a fait preuve d’un comportement négligent, assure l’étudiant représentant Monsieur Schleck. Le droit précise en effet que, en tant que conducteur, il doit rester maître de son véhicule, avec l’obligation d’être attentif. Il aurait dû réagir. » L’argumentaire de la partie civile n’épargne pas le constructeur, évoquant un vice au cœur du mode autonome du véhicule et s’interrogeant sur les raisons de ce brusque écart. Selon le plaidant, la voiture autonome est dotée d’une « dynamique propre », liée à l’intelligence artificielle et à la « nature évolutive de l’algorithme capable d’apprendre » en son sein. Un logiciel défectueux pourrait être à l’origine de l’écart brusque. Au-delà, selon le futur praticien du droit, le constructeur aurait mis en circulation un véhicule ne présentant pas les garanties de sécurité suffisantes et, dès lors, dangereux tant pour le conducteur que pour les autres usagers.

 

La technologie ne devrait pas piéger l’humain

Les conseils du conducteur, Monsieur Muller, ont tenté de rejeter la faute sur le constructeur.  « Dans le contexte de la conduite autonome, la notion de conducteur est à revoir…, a notamment plaidé un des étudiants, invitant les constructeurs de voitures autonomes à prendre leurs responsabilités. La technologie, à travers la conduite autonome est là pour aider l’humain, et non pour le piéger. » L’écart effectué par la voiture pourrait s’expliquer, au-delà d’une éventuelle dynamique propre défectueuse, par la désactivation automatique du mode « conduite autonome » suite au signal. « Si c’est effectivement le cas, ce changement de mode est particulièrement dangereux, dans la mesure où la transition est brutale. Un tel écart de trajectoire, dans tous les cas de figure, n’aurait jamais dû avoir lieu. »

 

La technologie réduit le risque d’accident

Pour la défense du constructeur, la technologie ne devrait jamais se subsidier à l’humain.  C’est dans cette optique que DESLAR aurait conçu son véhicule, avec une technologie « éthique » de conduite autonome qui invite l’humain à garder le contrôle en permanence. « En aucun cas le constructeur ne peut être considéré comme gardien du véhicule dans la mesure où la conduite dépend de beaucoup de conditions extérieures », explique un autre étudiant. Il peut par exemple s’agir de la conduite habituelle du conducteur dans l’hypothèse où le véhicule serait doté d’une dynamique propre. Autrement dit, un conducteur négligent pourrait transmettre des mauvais comportements à l’IA de la voiture. « Ou encore d’un hacking, malgré le fait que toutes les mesures de sécurité ont été envisagées. » Pour les avocats du constructeur, tous fictifs, rappelons-le, on ne peut donc pas considérer DESLAR comme responsable.« On ne peut attendre d’un constructeur de créer le meilleur des mondes, mais bien de contribuer à un monde meilleur, poursuit un étudiant. En l’occurrence, la technologie contribue à réduire les risques d’accidents. »

 

Tous les deux responsables

Après avoir écouté l’ensemble des parties, le Président du Tribunal a eu l’occasion de partager le jugement. « A nos yeux, la question est bien de déterminer qui est le gardien de la voiture, que la voiture soit en mode autonome ou non. Pour nous, Monsieur Müller, invité à reprendre le contrôle du véhicule, est le gardien du comportement de la voiture. Se responsabilité est donc engagée. On peut se demander, ensuite, si le constructeur a pu mettre en circulation un véhicule qui ne présente pas le degré de sécurité attendu », précise le Président du Tribunal d’arrondissement. A ce niveau, le Tribunal a conclu que, dans la mesure où le mode autonome ne se désactive pas suite au signal, le véhicule présente effectivement un danger pour les usagers. De même, si le mode autonome se déconnecte sans s’assurer que le conducteur a bien repris le contrôle, la sécurité n’est pas au rendez-vous non plus. La responsabilité du constructeur, à ce titre, pourrait être engagée.

 

Le constructeur exonéré de sa responsabilité

« Reste à faire si le conducteur ou le constructeur peuvent s’exonérer de la responsabilité du fait du comportement de l’autre, en invoquant un cas de force majeure, poursuit le Président du Tribunal d’arrondissement. Pour qu’il y ait force majeure, il faut réunir les conditions d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité. Or, dans le chef de Monsieur Müller, les conditions ne sont pas réunies dans la mesure où il a été averti d’un problème par la voiture et qu’à tout moment il aurait pu reprendre le contrôle du véhicule, celui ayant été conçu pour cela. » Pour ce qui est de DESLAR, par contre, il peut y avoir exonération, dans la mesure où il ne peut influer sur le comportement qui, dans la voiture, décide de ne pas réagir au signal d’avertissement. « Dans ce cas de figure particulier, donc, c’est Monsieur Muller qui va payer et le constructeur ne paiera pas », assure le Préside

Watch video

In the same category