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Le grand défi de la transition des compétences

Du fait de l’évolution technologique, beaucoup d’emplois vont évoluer. Si certains savoir-faire deviendront obsolètes, de nouvelles compétences seront souhaitées et, pour la plupart, difficiles à trouver. Dans ce contexte, comment poursuivre la croissance de l’économie sans s’exposer à des drames socio-économiques ? C’est là tout l’enjeu auquel sont confrontés aujourd’hui gouvernements, entreprises et travailleurs.

June 3, 2019

Laurent Probst, Partner, Economic Development et Innovation Leader & Christian Scharff, Partner, People et Organisation au sein de PwC Luxembourg

La technologie ne va pas faire disparaître les emplois, mais bien les faire évoluer. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde sur cette perspective. Il n’en demeure pas moins vrai que la transformation des emplois, qui a déjà largement débuté, pose le défi des compétences.

« Sous l’effet d’une accélération des avancées technologiques, les métiers évoluent en intégrant notamment de nouvelles compétences », commente Laurent Probst, Partner, Economic Development et Innovation Leader au sein de PwC Luxembourg. Dans tous les secteurs, les fonctions, de la production à la vente, en passant par la gestion des opérations, sont appelés à se transformer. Toutes devront s’appuyer sur de nouvelles compétences.

130 millions de nouveaux jobs à pourvoir

Certaines fonctions vont disparaître. D’autres vont naître. Selon les prévisions de l’OCDE, l’introduction des nouvelles technologies au cœur des organisations devrait engendrer quelque 130 millions d’emplois nouveaux d’ici 2022. « Le problème est que l’on sait, déjà aujourd’hui, que les compétences répondant aux besoins de ces nouvelles fonctions seront difficiles à trouver », complète Christian Scharff, Partner, People et Organisation au sein de PwC Luxembourg.

Quand bien même les entreprises seraient tentées de faire des coupes parmi les travailleurs aux compétences considérées comme obsolètes ou inadaptées aux nouveaux besoins, elles auraient toutes les peines du monde à acquérir les talents qui sont désormais recherchés à l’ère de l’intelligence artificielle et de la collaboration homme-machine.

Enjeu économique et social majeur

Le problématique est complexe et la prise de conscience de la gravité du phénomène par les autorités européennes est tardive. C’est d’ailleurs le Luxembourg, au moment où le pays occupait la Présidence du Conseil de l’Union européenne, en 2015, qui a alerté les dirigeants du Vieux Continent sur ces enjeux. Alors que le contexte est connu, les réponses au défi de la transition des compétences peinent encore à émerger. Or l’impact économique et social sera conséquent. « Quand un magasin sans caisse voit le jour, que fait-on de la caissière qui ne dispose pas des compétences lui permettant d’évoluer vers de nouvelles fonctions ? », commente Laurent Probst.

Des exemples de ce genre, il en existe dans tous les secteurs, à tous les niveaux de fonction. Quelles sont les perspectives d’un chauffeur à l’ère de la voiture autonome ? Comment évolue un ingénieur spécialisé dans la motorisation thermique à l’ère de la mobilité électrique ? Comment se déplace la valeur ajoutée du journaliste quand l’intelligence artificielle se dote d’une capacité d’écriture ?  Tous les jobs, sans exception, sont appelés à être « ajustés du fait de l’évolution technologique », pour reprendre l’expression récemment utilisée par la présidente du FMI, Christine Lagarde.

Une problématique globale

L’Europe n’est toutefois pas la seule concernée par le défi. Des pays comme le Japon, avec une population vieillissante, auront plus de mal que d’autres à trouver des jeunes talents compétents pour relever les prochains défis digitaux. « A l’horizon 2050, la part active de la population du Japon ne devrait plus s’élever qu’à 20%, commente Laurent Probst, pour illustrer la problématique. La plupart des pays du monde, en ce compris la Chine, qui va subir les effets de la politique de l’enfant unique, sont concernés par cette problématique démographique. » Dans le décorum international, seule l’Inde peut faire valoir une dynamique démographique positive.

Éducation, immigration, ajustement des compétences

Comment relever ce défi ? Les réponses à apporter peuvent être de plusieurs natures. « Il apparaît évident que la formation initiale doit être adaptée de manière conséquente au regard de ces transformations, commente Christian Scharff. Les mesures qui pourraient être prises dès à présent à ce niveau ne produiront toutefois de résultats qu’à un horizon de quelques années. » Face au manque immédiat de talents, l’opportunité de faire venir les compétences de l’étranger peut toujours être envisagée. « Mais les freins à l’immigration sont aujourd’hui importants et, considérant l’ampleur du besoin, cela soulève de complexes questions d’intégration », commente l’associé de PwC Luxembourg. Pour Laurent Probst et Christian Scharff, il reste donc une dernière option. « Elle consiste à faire évoluer la force de travail actuelle en investissant massivement dans la formation, pour permettre aux personnes employées actuellement d’acquérir les compétences dont on aura besoin demain », assure Christian Scharff.

L’exigence d’une stratégie coordonnée de compétences

« Il faut aujourd’hui que nos gouvernements considèrent que la population est effectivement le principal actif de leur pays. Or, beaucoup semblent avoir perdu cela de vue, commente Laurent Probst. A l’heure actuelle, aucune autorité étatique en Europe n’a mis en place une réelle stratégie nationale de compétences, à l’exception notable de la Norvège. » Si le nouveau gouvernement luxembourgeois renforce sa stratégie digitale, l’enjeu des compétences ne constitue qu’une de ses composantes. Or, de l’avis des deux associés de PwC, cette dernière devrait être considérée comme l’élément prioritaire de la politique à mettre en place. « Ce sont les compétences qui mèneront à la réussite de la digitalisation, qui créeront les emplois de demain, et non l’inverse », explique Laurent Probst.

En Norvège, chaque ministre du gouvernement s’est engagé personnellement, derrière le Premier ministre, à mettre en œuvre tout ce qui est possible pour donner des perspectives à chacun : au pays, aux entreprises, aux citoyens. « On a compris, au niveau de ce pays nordique, que le défi des compétences exigeait d’impliquer l’ensemble des ministères, de l’Education à la Recherche, du Travail à l’Immigration, en passant par l’Economie, l’Emploi, la Protection sociale », précise Christian Scharff.

L’Union européenne et chaque état membre devraient donc se doter d’une stratégie coordonnée d’évolution des compétences. En la matière, l’enjeu est de parvenir à bien articuler les politique, d’aligner gouvernement, entreprises et travailleurs sur les mêmes objectifs de développement des compétences afin de donner des perspectives à chacun. Tous ont à y gagner. « Il a en effet été démontré qu’il coûte infiniment moins cher d’investir dans un employé en place pour lui permettre de se former une vingtaine de jours par an que de procéder à son licenciement pour engager une autre personne disposant de nouvelles compétences », conclut Christian Scharff.

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